Jeff Kerléo, Artisan luthier.

Jeff Kerléo, Artisan luthier.

Enfoncement des tables guitares manouches.

Enfoncement des tables guitares manouches.

Beaucoup de  guitares manouches issues du plan Semer présentent un enfoncement au droit du chevalet. Ce phénomène oblige à rehausser le chevalet car les cordes descendent et ça fini par friser, voire même dans certains cas, toucher les frettes.  D’ailleurs, les guitares qui sortaient neuves de l’atelier Selmer étaient livrées avec un lot de 4 chevalets chacun plus hauts que l’autre de 1 mm. Ils avaient rapidement identifiés le problème avec le retour en atelier de toutes leurs guitares au bout de quelques mois. Seulement, au lieu de ce pencher sur l’origine, ils ont préféré fournir une solution palliative, simple et pas chère…

Sauf que, plus on rehausse le chevalet, plus on ferme l’angle imprimé par le cordier, le sillet et la pointe du chevalet, de ce fait on modifie le polygone des forces et la résultante augmente la force de compression de la table. Ce qui à terme a pour conséquence d’enfoncer encore davantage la table. En principe cela s’arrête quand la force de la table pousse sur les éclisses et que celles-ci ne peuvent plus se déformer.

Qu’est-ce qu’on peut faire ?

Dans presque tous les cas, le rehaussement du chevalet reste une solution valable, mais dans d’autres, la table continue de s’enfoncer et à la fin on a des chevalets cathédralesque… Ce qui n’est pas une solution viable à terme, sans compter une perte de rendement de la table soumise à des contraintes et des déformations trop importantes. Quand un chevalet de plus de 25mm est nécessaire, il est temps de faire quelque chose !

Sur les grandes bouches on peut assez facilement intervenir sans dé-tabler. Il est possible, par exemple de faire une découpe en V ouvert du côté de la table, dans chacune des deux barres parallèles de part et d’autre du chevalet à l’aide d’une fraise à rogner montée sur une Dremel. Puis, on place deux cales en force entre la table et le fond dans l’alignement du chevalet de telle sorte à relever la table et obtenir la voûte initiale, on peut même exagérer un tantinet en resserrant les éclisses avec un grand serre-joint dans le même axe. Cela aura pour effet de refermer les V usinés dans les deux barres de renforts. En suite on réalise deux V en épicéa de la même épaisseur que les barres et on vient les coincer dans les V ouverts avec un peu de colle vinylique. Quand on relâche les serre-joints et qu’on enlève les cales la table veut retrouver sa place initiale, mais les V font coin et la bloque.

Sur les petites bouche, y a pas à tergiverser, il faut dé-tabler.

Pourquoi ce phénomène d’enfoncement survient-il sur  certaines guitares et pas d’autres ? En règle générale, si l’on respecte à la lettre le plan Selmer dessiné par Mario Maccafferi,  la table s’enfonce certes, mais l’enfoncement se stabilise au bout de quelques mois, car la table est pliée juste derrière le chevalet, à la manière des mandolines. Cela à pour incidence majeure que l’effet de voûte est placée au droit de la contrainte, d’où une déformation moindre. Seulement voilà, la réalisation d’un pliage de table est très délicate et très peu de luthiers s’y risquent, choisissant plutôt de mettre la table en forme suivant un radius. Issue de la construction des fonds de guitares folks américaines, le radius concave revêtu d’un abrasif permet de mettre en forme le dos des guitares. Ce concave sert à l’usinage les contres-éclisses et avec un radius de 17’’, on obtient presque la même hauteur de voûte que le plan Selmer. Ce même concave sert aussi à usiner les barres de renfort et a les coller sur la table. In fine on obtient une portion de sphère parfaite qui s’ajuste pile poil sur les contres-éclisses. Sauf que : le point culminant de cette sphère est au centre de la guitare, c’est à dire entre le chevalet et l’axe de l’ouïe. De ce fait le chevalet se trouve placé sur une partie descendante de la table et ne bénéficie plus ou peu de l’effet de voûte. Cette géométrie, ajoutée au fait que le barrage en échelle n'est pas le plus efficace pour résister à l’enfoncement,   aura pour effet de laisser la table s’éfondrer au droit du chevalet et même de faire monter le point culminant de la voûte vers les cordes. Là, quand ça commence à se déformer, ça devient souvent catastrophique…

Comment remédier à ça, sans revenir sur le pli de la table ?

Pour ma part, j’ai abandonné le barrage en échelle de Mario Maccaferri depuis 2009, voici le dernier barrage en échelle que j'ai réalisé en 2009:

petite bouche à Fabien 077.jpg

 

Depuis, j’ai dessiné plusieurs barrages et réalisé autant de guitares... 

Les barrages se succédant,  le son s’améliorant au fur et à mesure des modifications, voici la progression de mes barrages :

barrage table cedre fini.jpg

barrage manouche  Arnault.jpg

IMG_8308.JPG

IMG_8326.JPG

barrage.jpg

Mes dernières manouches, avec ou sans bouche sur la table sont équipées du barrage que j’ai appelé Ixa et qui est pour l’instant la forme la plus aboutis, tant pour le son que pour la résistance mécanique à l’enfoncement. Ce barrage à deux spécificités, l’une totalement acoustique et l’autre mécanique et acoustique.

La première se compose d’un grand A (ou V inversé puisqu’il n’y a pas la barre horizontale du A) dont la pointe est encastrée dans le talon et dont les barres cheminent sur toute la longueur de la table. Cette méthode permet de récupérer les vibrations du manche et de les transmettre à la table.

La deuxième se compose d’un grand X placé sous le chevalet de manière légèrement excentré vers les aigus. Les deux barres de ce X sont usinées dans un radius de ma fabrication plus prononcé que le 17’’ des dos de guitares folks.

Ce barrage à fait ces preuves aujourd’hui car je n’ai plus besoin de changer de chevalet au bout de quelques mois, ce qui est la meilleure preuve que le problème d’enfoncement de table est bel et bien résolu. Quant à ce qu’il apporte du point de vu acoustique…

Désolé de dire ça abruptement aux aficionados de la Selmer, mais, de toute manière le barrage en échelle dessiné par Mario en 1936, s’il, se prête bien aux mandolines, est le pire des barrages que l’on puisse monter sur une guitare,  car pour brider une table, il n’y a pas mieux !

Maintenant, pour ce qui ont des doutes quant au son de mes manouches, j'ai toujours au moins un modèle Osé en démonstration, z'ont qu'a venir au Bouet pour une séance d'essai...



16/08/2010
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